Les limites à la régularisation des PC
Les conditions pour qu’une autorisation d’urbanisme soit « susceptible d’être régularisée », c’est-à-dire susceptible de bénéficier des dispositions de l’article L600-5-1 du code de l’urbanisme ou de l’article L600-5 du code de l’urbanisme, ont été peu à peu définies par la jurisprudence.
Certains vices sont jugés, par principe, non régularisables.
Il s’agit, en premier lieu, de la fraude.
Dans un arrêt du 11 mars 2024 (req. n°464257), mentionné sur ce point dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a jugé que « le juge ne peut faire application des articles L600-5, L600-5-1 du code de l’urbanisme lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude ».
Le second vice jugé, par principe, non régularisable, est celui tiré de la méconnaissance de la jurisprudence Thalamy (CE 9 juillet 1986, req. n°51172).
Etant rappelé que la jurisprudence Thalamy impose, lorsqu’une construction a été édifiée ou modifiée de façon irrégulière, c’est-à-dire sans l’autorisation requise ou en méconnaissance de celle-ci, que les travaux réalisés sur cette construction soient autorisés par un permis de construire (ou une non-opposition à DP) portant non seulement sur les modifications projetées mais également, pour les régulariser, sur les éléments de la construction édifiés irrégulièrement.
Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 6 octobre 2021 (req. n°442182), publié au recueil Lebon sur ce point, a jugé que cette illégalité (« demande ne portant pas sur l’ensemble des éléments qui devaient lui être soumis ») « ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application de l’article L600-5-1 du code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L600-5 du même code ».
Selon monsieur Vincent VILLETTE, rapporteur public sur cet arrêt (BJDU 6/2021 pages 431 et suivantes), la non-applicabilité des articles L600-5-1 et L600-5 CU à ce vice se justifie :
- d’une part, par des considérations morales, puisque la violation du principe de la jurisprudence Thalamy consiste en la présentation à l’administration d’une demande « tronquée », « occultant » les travaux irréguliers antérieurs et qu’il convient de la décourager en interdisant sa régularisation,
- d’autre part, par la circonstance que l’objet de la demande d’autorisation d’urbanisme étant tronqué (puisqu’il ne porte que sur les modifications projetées et non pas, également, sur les éléments irréguliers de la construction existante) cela rend difficile l’appréciation par le juge du point de savoir si le vice est régularisable.
En effet, pour que le vice soit régularisable, il faut que les éléments irréguliers de la construction existante respectent les règles d’urbanisme actuellement en vigueur (pour être autorisés), ce qui pourrait ne pas avoir fait l’objet de débats devant le juge administratif, si les débats se sont limités à l’irrégularité de la construction existante.
Selon la cour administrative d’appel de MARSEILLE (1er décembre 2022 req. n°20MA02543), un troisième vice serait, par principe, irrégularisable, à savoir la délivrance d’une non-opposition à DP alors qu’un permis était requis.
Cela étant, cette solution, rendue aux conclusions contraires du rapporteur public (AJDA 7/2023 pages 347 et suivantes), n’est guère évidente et le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur ce point.
Lorsque l’autorisation d’urbanisme n’est pas affectée d’un vice par principe irrégularisable, elle est assez souvent régularisable.
En effet, il suffit que le projet, éventuellement modifié même de façon substantielle (sous la seule réserve de ne pas apporter au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même) respecte les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue (CE 2 octobre 2020, req. n°438318 publié au recueil Lebon).
Un arrêt du 11 mars 2024 (req. n°463413 mentionné aux tables du recueil Lebon sur ce point) a précisé que pour apprécier le caractère régularisable d’un vice entachant l’autorisation d’urbanisme, il ne fallait pas fonder son appréciation « sur le seul projet existant » mais qu’il convenait de « tenir compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer celui-ci et d’en revoir, le cas échéant, l’économie générale sans en changer la nature ».
Ainsi, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a jugé que c’était à tort que la cour administrative d’appel avait jugé un permis irrégularisable au motif que les places de stationnement manquantes ne pouvaient pas être réalisées sur le terrain, compte tenu de la taille de celui-ci et de la nécessité d’y prévoir des espaces plantés pour respecter le document d’urbanisme.
En effet, puisque le pétitionnaire a la possibilité de faire évoluer de façon importante son projet, cette évolution peut conduire à une réduction conséquente des besoins réglementaires en stationnement du projet et donc permettre une régularisation.
En définitive, sauf dans les cas d’un permis frauduleux ou méconnaissant la jurisprudence Thalamy, ou d’un terrain inconstructible ou quasiment inconstructible (du fait de son zonage, des dispositions de la loi littoral ou de la loi montagne, d’un emplacement réservé…), la régularisation de l’autorisation d’urbanisme affectée d’un ou plusieurs vices devrait être possible, fût-ce au prix de la modification substantielle du projet.
Se pose néanmoins la question de savoir si cette régularisation, notamment lorsqu’elle nécessite une importante réduction du projet par rapport au projet initial, ne présente pas un risque pour le bénéficiaire du permis.
Les risques à obtenir une autorisation de régularisation
- Le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme, objet d’un recours (de même que l’autorité administrative qui l’a délivré), peut évidemment contester (par un appel ou un pourvoi) la décision avant dire droit jugeant que cette autorisation est affectée d’un vice entachant sa légalité.
Généralement, par précaution, le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme souhaitera, parallèlement à cette contestation, demander un permis de régularisation, même si le vice retenu par le juge nécessite une réduction très conséquente du projet, pour ne pas risquer une annulation totale du permis de construire au cas d’une éventuelle confirmation par le juge d’appel ou le Conseil d’Etat du jugement avant-dire droit.
Cette stratégie est-elle sans risque ?
Plus précisément, le bénéficiaire du permis peut-il à la fois obtenir un permis de régularisation et faire juger par le juge d’appel ou le Conseil d’Etat l’inexistence du vice retenu par le premier juge ?
- La cour administrative d’appel de PARIS a répondu par la négative, dans un arrêt du 3 février 2022 (ville de PARIS n°21PA01900) que la revue Actualité Juridique du Droit Administratif (AJDA 8 août 2022 pages 1625 et suivantes) a résumé sous le titre « Régulariser ou faire appel, il faut choisir ».
Dans cette affaire, le tribunal administratif de PARIS avait jugé qu’une décision de non-opposition à déclaration préalable était affectée d’un vice régularisable (absence d’avis de l’inspection générale des carrières).
La ville de PARIS a fait appel de ce jugement avant dire droit.
Une décision de non-opposition de régularisation étant intervenue, le tribunal administratif de PARIS, par un second jugement (devenu définitif, semble-t-il), a rejeté la requête à l’encontre de cette décision.
La cour administrative d’appel de PARIS a jugé que dès lors qu’une décision de régularisation avait été délivrée « il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la ville de PARIS tendant à l’annulation du jugement avant dire droit ».
Le Conseil d’Etat, dans une décision du 4 juillet 2022 (req. n°461708) n’a pas admis le pourvoi à l’encontre dudit arrêt.
La cour administrative d’appel de PARIS a réaffirmé cette solution, dans un arrêt du 8 juin 2023 (req. n°22PA02555) jugeant qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la requête d’appel du bénéficiaire d’un permis de construire à l’encontre du jugement avant dire droit, dès lors qu’un permis modificatif de régularisation avait été délivré, ce qui « a fait perdre son objet au litige ».
Dans cette affaire, le tribunal administratif avait, dans son second jugement, rejeté la requête en annulation du PC.
- A ce jour, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’existence ou non d’un non-lieu concernant la contestation par le bénéficiaire du permis (ou l’auteur du permis) de la décision avant-dire droit uniquement dans le cas de l’intervention d’un deuxième jugement annulant le permis et contesté par le bénéficiaire du permis ou l’auteur du permis.
Dans cette hypothèse, il a jugé que l’intervention du second jugement ne privait pas d’objet les conclusions d’annulation du jugement de sursis à statuer présentées par le bénéficiaire du permis (ou l’autorité l’ayant délivré) : CE 23 novembre 2022 (req. n°449443) et CE 10 juillet 2023 (req. n°463914).
En revanche, le Conseil d’Etat ne s’est pas encore expressément prononcé dans le cas où le second jugement rejette la requête et ne fait pas l’objet d’une contestation par le requérant (le bénéficiaire du permis et l’auteur de celui-ci ne pouvant, eux, contester un jugement qui rejette la requête en annulation du permis).
D’ailleurs, monsieur Philippe RANQUET, rapporteur public sur l’arrêt du 10 juillet 2023 précité a indiqué que la solution de l’arrêt du CE du 23 novembre 2022 ne valait que dans le cas où, la mesure de régularisation n’ayant pas été jugée satisfaisante, le second jugement avait annulé le permis de construire et le pétitionnaire (et/ou la collectivité) contestait à la fois le jugement avant dire droit et le jugement mettant fin à l’instance. Selon monsieur RANQUET, cela laisse de côté la question, « autrement plus redoutable », se posant si le juge valide la régularisation (et donc rejette la requête en annulation du PC) par un jugement que ni le bénéficiaire du permis ni l’auteur du permis ne pourrait attaquer.
- Placer le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme devant le choix cornélien entre l’obtention d’un permis de régularisation au prix, parfois, d’une modification très conséquente du projet, et la possibilité de contester utilement, devant le juge d’appel ou le Conseil d’Etat, la décision du juge retenant l’existence d’un vice, ne parait pas justifié.
Dans le contentieux du refus de permis de construire, le Conseil d’Etat juge :
- qu’il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation d’une décision de refus de demande d’autorisation d’urbanisme lorsque, postérieurement à la saisine du juge, l’autorisation sollicitée a été délivrée,
- mais précise toutefois, que le recours contre le refus conserve un objet lorsque l’autorisation « finalement accordée ne peut être regardée comme équivalant à l’autorisation initialement sollicitée et refusée, en raison notamment des modifications que le pétitionnaire a apportées à sa demande pour tenir compte des motifs du refus qui lui a été initialement opposé » (CE 26 septembre 2016 req. n°385627 mentionné sur ce point dans les tables du recueil Lebon).
Il est opportun que le pétitionnaire qui se voit opposer un refus, selon lui injustifié, puisse modifier son projet de façon à obtenir une autorisation d’urbanisme, sans que ça lui fasse perdre la possibilité de contester utilement devant le juge administratif le refus qui lui a été opposé.
La situation du bénéficiaire d’un permis de construire, objet d’un jugement avant dire droit constatant une irrégularité, est assez similaire.
Il serait opportun et conforme aux objectifs des articles L600-5-1 et L600-5 du code de l’urbanisme qu’il puisse obtenir un permis modificatif de régularisation conduisant au rejet de la requête, sans perdre la possibilité de contester utilement l’existence du vice retenu par le juge administratif, notamment si le permis modificatif de régularisation obtenu n’est pas équivalent au permis initial.