TRAVAUX SUR EXISTANT : UNE APPLICATION SOUPLE DE LA JURISPRUDENCE SEKLER

Par un arrêt en date du 26 avril 2024 (n°469342 commune de TARNOS), le Conseil d’Etat a fait une application souple de la jurisprudence SEKLER, et plus particulièrement du critère du caractère étranger des travaux à la méconnaissance de la surface minimale d’espaces libres par la construction existante.

Rappelons que par un arrêt de section du 27 mai 1988 (SEKLER, n°79530, publié au recueil Lebon), le Conseil d’Etat a posé le principe, toujours pleinement applicable à ce jour, selon lequel « la circonstance qu’une construction existante n’est pas conforme à une ou plusieurs dispositions d’un plan d’occupation des sols [aujourd’hui PLU ou PLUi] régulièrement approuvé ne s’oppose pas, en l’absence de dispositions de ce plan spécialement applicables à la modification des immeubles existants, à la délivrance ultérieure d’un permis de construire s’il s’agit de travaux qui, ou bien doivent rendre l’immeuble plus conforme aux dispositions règlementaires méconnues, ou bien sont étrangers à ces dispositions ».

Il existe donc deux critères alternatifs permettant la délivrance d’un permis de construire sur une construction existante méconnaissant la règlementation applicable : ou bien les travaux améliorent la situation (en rendant l’immeuble plus conforme aux dispositions méconnues), ou bien ils lui sont étrangers. Ce deuxième critère du caractère « étranger » aux dispositions méconnues par la construction existante n’est pas toujours évident à mettre en œuvre.

Ici, la règle méconnue était une règle de 10% minimum d’espaces libres, espaces libres dont le règlement précisait qu’ils avaient pour objet de permettre aux constructions « de s’harmoniser avec le milieu environnant et d’atténuer l’impact visuel des constructions ».

La commune de TARNOS avait refusé une demande de permis de construire que la société TOTAL SOLAR avait déposée en vue de l’installation de 63 ombrières photovoltaïques sur un terrain servant de parking appartenant à une autre société. Ce terrain ne comportait donc pas 10% d’espaces libres et la commune a estimé que la pose d’ombrières sur le parking ne rendait pas l’immeuble plus conforme et n’était pas étrangère à cette méconnaissance.

Si l’on apprécie la règle des 10% d’espaces libres de façon littérale, sans s’intéresser à son objectif, on est aisément convaincus que la pose d’ombrières sur le parking déjà imperméabilisé peut être regardée comme étrangère à cette disposition.

En effet, ce parking ne constituait pas des espaces libres, lesquels étaient définis par le PLU de la commune comme « des espaces naturels et/ou de loisirs communs ».

Le Conseil d’Etat juge en ce sens :

«  5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le projet litigieux consistait à implanter des ombrières photovoltaïques sur des surfaces précédemment imperméabilisées servant de parking à une entreprise située dans une zone industrielle de la commune. Ce projet, par sa nature et ses dimensions, n’est pas, au regard de la destination actuelle du terrain, de nature à avoir une incidence sur la surface des espaces libres et est, par suite, étranger aux dispositions précitées de l’article 13 du règlement du plan local d’urbanisme. Par suite, en jugeant que le maire de la commune de Tarnos ne pouvait, pour refuser le permis de construire, se fonder sur la circonstance que le terrain d’assiette du projet ne présentait pas 10 % d’espaces libres naturels ou végétalisés, la cour administrative d’appel n’a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits. »

La solution n’allait cependant pas de soi eu égard à l’objectif de la règle des espaces libres, objectif explicitement énoncé dans le PLU, à savoir l’harmonisation avec le milieu environnant et l’atténuation de l’impact visuel des constructions.

C’est donc à une analyse plutôt libérale du critère du caractère étranger des travaux aux dispositions méconnues que s’est livré le Conseil d’Etat.

On peut noter que, selon le Conseil d’Etat, des travaux « étrangers » aux dispositions méconnues, sont des travaux qui ne sont pas « de nature à avoir une incidence » sur la règle. La cour administrative d’appel de Bordeaux avait utilisé une expression plus ambiguë en considérant que le projet « n’était pas susceptible d’aggraver la méconnaissance de l’article en cause », mais, selon le rapporteur public Frédéric Puigsever, la cour devait être regardée comme s’étant référée non pas au premier critère de la jurisprudence SEKLER (l’amélioration), mais au second critère (le caractère étranger), n’avait donc pas commis d’erreur de droit.

Le caractère « d’intérêt collectif » des ombrières photovoltaïques n’est peut-être pas étranger à l’interprétation libérale du Conseil d’Etat.

C’est en effet un apport secondaire de l’arrêt que de juger que de telles ombrières photovoltaïques relèvent de la destination des « constructions et installations nécessaires au service public ou d’intérêt collectif » (selon la nomenclature de l’ancien article R123-9 du code de l’urbanisme dont relevait le règlement du PLU de la commune de TARNOS), ou de la destination des « équipements d’intérêt collectif et services publics »,sous-destination des « locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés » (selon la nomenclature des articles R151-27 et R151-28 du même code).

Le Conseil d’Etat relève en effet que la production d’électricité de ces ombrières était destinée à satisfaire un besoin collectif car elle était destinée à être injectée dans le réseau de transport public et à bénéficier au public.

Là encore, la solution n’était pas évidente puisque ces ombrières présentaient un caractère mixte, étant donné qu’elles étaient également destinées à ombrager le parking privé.

C’est une qualification en miroir de ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12 juillet 2019 (n°422542, mentionné aux tables du recueil Lebon).

 Dans cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que « la circonstance que les constructions et installations à usage agricole puissent aussi servir à d’autres activités, notamment de production d’énergie, n’est pas de nature à leur retirer le caractère de construction ou installation nécessaire à l’exploitation agricole au sens de l’article R123-7 du code de l’urbanisme et du règlement des zones agricoles du plan local d’organisme de la commune, dès lors que ces autres activités ne remettent pas en cause la destination agricole avérée des constructions et installations en cause ».

Marion Rochmann-Sacksick
Marion Rochmann-Sacksick