1/ L’administration a la faculté d’autoriser un projet non conforme aux règles d’urbanisme, sous réserve d’assortir cette autorisation de prescriptions ayant pour effet de rendre le projet conforme aux règles d’urbanisme et n’entrainant de modification que sur des points précis et limités (CE 13 mars 2015, req. n°358677 publié au recueil Lebon).
Cette faculté n’est aucunement limitée aux cas de non respect de règles permissives (c’est-à-dire rédigées selon la formule « le permis de construire peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales… »).
Ainsi, dans un arrêt du 3 juin 2020 (req. n°427781), le Conseil d’Etat a jugé légal un permis de construire assorti d’une prescription concernant la production d’une servitude de passage, au plus tard au début des travaux, nécessaire pour assurer le respect d’une règle non permissive du PLU concernant la desserte du terrain.
Dans un arrêt beaucoup plus ancien, publié au recueil Lebon (CE 5 mai 1972 req. n°78627), le Conseil d’Etat a jugé légal un permis de construire délivré « sous la réserve que le volume de l’avant-corps de l’escalier, dans sa partie supérieure, soit ramené dans l’enveloppe règlementaire du gabarit sur voie ».
2/ En sens inverse, l’autorité administrative a-t-elle l’obligation, face à un projet qui n’est pas conforme aux règles d’urbanisme mais dont des prescriptions suffiraient à assurer la conformité à ces règles, de délivrer le permis de construire assorti de ces prescriptions ou a-t-elle la faculté de refuser le permis ?
Dans un arrêt du 26 juin 2019 publié au Lebon (req. n°412429), le Conseil d’Etat a jugé que « en vertu de l’article R111-2 du code de l’urbanisme, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettrait d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et règlementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».
En d’autres termes, le CE a jugé que l’autorité administrative ne pouvait pas refuser d’autoriser un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique si des prescriptions spéciales pour pallier à ces atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique pouvaient être émises.
Il ne fait guère de doute que ce principe concerne l’application de toutes les règles permissives.
En revanche, le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur le point de savoir si un permis pouvait être légalement refusé au motif d’une non-conformité avec une règle non permissive, alors même qu’une simple prescription aurait suffi à assurer sa conformité à cette règle.
3/ Les juridictions du fond divergent sur ce point.
3-1 Diverses juridictions du fond ont jugé illégal un refus de permis de construire fondé sur la méconnaissance d’une disposition d’urbanisme non permissive, alors qu’une prescription spéciale aurait suffi.
Ainsi, par exemple, la cour administrative d’appel de LYON, dans un arrêt du 13 novembre 2012 (req. n°12LY01444) a jugé illégal un refus de permis de construire fondé sur le non-respect d’une règle d’un PPRI imposant que les locaux techniques soient placés au-dessus de la cote de référence au motif qu’ « il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de sa faible importance au regard de l’ensemble du projet, son déplacement ou son rehaussement ne pouvait faire l’objet d’une prescription spéciale ».
Dans un jugement du 25 février 2014 (req. n°1209352), le TA de NANTES a jugé illégal un refus de permis de construire fondé, notamment, sur l’insuffisance de la végétalisation du projet au motif que « cette situation pouvait néanmoins être palliée par une simple prescription dans le permis de construire ».
Dans un arrêt du 1er octobre 2020 (req. n°18MA02613), la CAA de MARSEILLE a jugé illégal un refus de permis de construire motivé par la violation de la règle du PLU imposant le raccordement au réseau public d’eau potable au motif que le projet ne pouvait pas être raccordé, comme prévu, sur le chemin de SAINT-JEAN ; la CAA a ainsi jugé que dès lors que le projet pouvait être raccordé au réseau d’une autre voie, il appartenait au maire de délivrer le permis de construire assorti d’une prescription en ce sens.
Plus récemment, le TA de RENNES (1er décembre 2023, req. n°2101640 ) a jugé illégal un refus de permis fondé sur l’utilisation en couverture d’un matériau non autorisé par le règlement du PLU , dès lors qu’une prescription aurait suffi.
Le TA de ROUEN (7 décembre 2023, req. n°2202751) a jugé de même s’agissant du non-respect, par des balcons, de la règle d’implantation par rapport aux limites séparatives.
Le TA de PARIS (2 mai 2024, req. n°2226869), saisi d’un recours contre un refus de permis de construire, a écarté la demande de substitution de motif de la ville fondée sur la violation du gabarit enveloppe de l’article UG10.2 du règlement du PLU et a donc annulé le refus de permis de construire au motif que la conformité à la règle du gabarit enveloppe sur voie aurait pu être assurée par une simple prescription et qu’en conséquence, il ne résultait pas de l’instruction que le maire aurait refusé le permis en se fondant sur cette seule illégalité.
3-2 D’autres juridictions, tel que le tribunal administratif de MONTREUIL (jugement du 20 octobre 2022, req. n°2111645 mentionné dans la lettre de jurisprudence du tribunal administratif de MONTREUIL (n°12-décembre 2022) jugent, au contraire, que l’administration n’est tenue d’autoriser un projet méconnaissant une règle d’urbanisme (sous réserve de prescriptions spéciales lorsque les conditions en sont réunies) que lorsque la disposition d’urbanisme méconnue par le projet prévoit expressément cette possibilité (disposition permissive).
Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d’appel de PARIS dans un arrêt du 28 février 2024 (req. n°22PA05265), la CAA ayant néanmoins ajouté qu’en tout état de cause, en l’espèce, la modification qui était requise nécessitait le dépôt d’une nouvelle demande de permis de construire et ne pouvait donc pas faire l’objet d’ une simple prescription.
3-3 Le TA de Toulouse a adopté une position médiane.
Ainsi, dans un jugement du 22 février 2024 (req. n°2302966, RDI avril 2024 pages 227 et suivantes) il a posé le principe selon lequel l’autorité compétente « qui n’a pas à se substituer au pétitionnaire » doit, en principe, refuser d’autoriser un projet non conforme à une règle d’urbanisme non permissive « sans être obligé d’envisager une prescription », tout en précisant qu’il en va différemment « lorsqu’il apparait manifeste, sous le contrôle du juge, qu’au regard du dossier de demande à l’issue de l’instruction de ce dernier, il était légalement possible d’autoriser un tel projet en l’assortissant d’une prescription spéciale.
Le caractère manifeste de cette possibilité suppose, d’une part, que la prescription en cause ait été soumise à l’autorité compétente avant qu’elle ne prenne sa décision, soit que cette prescription ait été suggérée par un service technique… soit qu’elle ait été évoquée par le pétitionnaire lui-même dans son dossier de demande ou au cours de ses échanges avec l’administration.
Et, d’autre part, il suppose que la mise en œuvre de cette prescription, qui doit être définie avec une précision suffisante… n’ait manifestement aucune incidence sur l’appréciation que doit porter l’administration sur la conformité du projet aux autres normes d’urbanisme opposables.
Dans l’hypothèse où l’ensemble de ces conditions sont réunies, l’autorité compétente se doit alors de délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant d’une prescription spéciale permettant d’assurer la conformité de la constructions aux dispositions législatives et réglementaires dont elle est chargée d’assurer le respect ».
4/ Etendre, comme le font de nombreuses juridictions du fond, le principe posé par le Conseil d’Etat, dans son arrêt précité du 26 juin 2019, en matière de salubrité ou de sécurité publique, à toutes les règles d’urbanisme présente un avantage indéniable.
Cela permettrait de lutter contre les refus abusifs de permis de construire qui, tout autant que les recours abusifs de tiers, sont en grande partie responsables du nombre insuffisant de logements construits en France.
L’accroissement constant du nombre des règles d’urbanisme : il suffit de comparer le volume des PLUi avec celui des anciens POS et leur complexification augmente le risque de non-respect de certaines règles d’urbanisme par le projet décrit dans le dossier de demande de permis.
En règle générale, lorsque l’instruction de la demande de permis est guidée par le souci du respect du principe de légalité, cela ne pose pas de problème : les services instructeurs informent le pétitionnaire des quelques irrégularités relevées par eux et le pétitionnaire corrige son projet en déposant des pièces modificatives dans le cadre de l’instruction.
En revanche, dans les cas où l’instruction n’est pas guidée par le principe de légalité, c’est un refus de permis de construire qui intervient, alors même que les irrégularités mineures auraient pu être corrigées par le pétitionnaire au cours de l’instruction ou que de simples prescriptions auraient suffi à assurer la régularité du projet.
Certes, comme l’indique le tribunal administratif de Toulouse dans son jugement précité du 22 février 2024, l’autorité compétente n’a pas à se substituer aux pétitionnaires et donc à redéfinir le projet de façon à ce qu’il soit légal.
Cela étant, interdire à l’autorité administrative de refuser un permis de construire, alors que des prescriptions auraient suffi à assurer la régularité du projet, n’oblige aucunement l’administration à se substituer aux pétitionnaires.
Comme l’a indiqué Stéphane HOYNCK, rapporteur public sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 juin 2019 précité (BJDU 5/2019 pages 325 et suivantes), dès lors qu’une prescription ne peut être légalement imposée que si elle n’entraîne qu’une modification portant sur un point précis et limité et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, en édictant une telle prescription, l’administration ne se substitue aucunement aux pétitionnaires et ne redéfinit aucunement un projet.